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Les trois semaines qui suivirent furent un tourbillon.
Marie-Claude était revenue de la ville dans un vacarme de caravane publicitaire : Charles Trenet, les sautillements d’un piano, une giclée de cuivres…
Bien le bonjour
Pour aujourd’hui finie la quête
Gardez tout
Messieurs gardez tout…
C’était pas tendance, et alors ? Au cul la mode ! De la gaieté, de la fantaisie, voilà ce qu’il fallait ! La petite goutte de citron sur l’huître ! Elle avait arrêté son bahut devant la baraque, portière ouverte pour qu’ils profitent bien, et elle avait jailli, roulant des billes comme le fou chantant aux plus beaux jours de sa carrière, en s’égosillant avec lui :
Y’a de la joie
Bonjour bonjour les hirondelles
Y’a de la joie
Dans le ciel
Par-dessus le toit
Y’a de la joie
Et du soleil dans les ruelles
Y’a de la joie
Partout y’a de la… ah !ah !ah…
- Nôôôn ! ils avaient gueulé tous les deux.
- Vous n’aimez pas ?
- Baisse ça ! S’il te plaît, baisse ça !
- Oh, je vois !… On a besoin du secours de maman.
- Vouîîî ! supplia Momo.
- Vous êtes des veinards, mes biquets, j’ai sur moi le cachet miracle. Mais à partir de maintenant, terminé les vacances ! Je ne suis pas venue pour jouer au docteur… Regardez les zolies z’emplettes que z’ai faites pour vous. Alors, qu’est-ce qu’on dit à maman ?
- Nôôôn ? s’effara Momo.
- Euh ! et ce comprimé ? suggéra Lu. Je me sens un peu barbouillé, ça aidera peut-être à faire tout passer.
- Ta, ta, ta ! je ne partirai pas tant que je n’aurai pas pris vos mesures…
Il avait fallu négocier pied à pied. Pour que dalle. Sur tout, elle avait ses réponses et des certitudes en béton. En frac, ils n’avaient pas envie de ressembler à des pingouins ! Mais, pauvres chérinounets, quelle objection ridicule : bronzés comme ils étaient ! Et il n’était d’ailleurs question ni de chemise ni de pantalon : quelques paillettes sur le torse et les cuisses, c’était tout. Ils seraient beaux comme des boys de music-hall ! Le choc du chic et de l’exotisme assuré !
Et ses choix musicaux, complètement ringards, non ? Trenet et Arletty, pensez !
- C’était la peine que tu te paies ma fiole à cause de Maurice Chevalier et de Lucienne Boyer ! nota perfidement Momo.
- Mais, mon joli biquet, c’est pas parce que tu es passablement bien conservé qu’on va mobiliser les teenagers : remballe tes fantasmes !
- Non, non, ça c’est au quart de poil, confirma Lu. Prémonitoire ! Précurseur ! Tout l’esprit d’avant-guerre ! Parce que, je vous le dis, le monde danse sur un volcan, mes amis !
Ce n’était pas exclu, tempéra Marie-Claude. Ce qui était certain, c’est qu’à l’époque d’Arletty et de monsieur Trenet le monde prêtait encore de l’importance à la France. Est-ce que monsieur Momo aurait mieux à proposer, par hasard ?
Monsieur Momo avait pris l’air de qui est extérieur au débat : si cette crêpe de Lu était d’accord, on n’allait pas courir le risque de mettre l’amorce de l’édifice par terre, alors que planait la menace d’un embrasement mondial et de la décadence du pays d’accueil !
Eh bien, puisque c’était O.K., voici comment la chorégraphe-metteuse en scène voyait les choses : primo Arletty et Trenet, matin, midi, après-midi et soir, et la nuit s’il fallait ; les écouteurs sur les oreilles. En bossant, en mangeant, en dormant. Imprégnation : tempo, paroles. Tout le reste coulerait ensuite de là comme l’eau de la source…