10 juin 2012 7 10 /06 /juin /2012 23:05

 

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   La môme s’était perchée dans le maxi caddie et, le buste projeté en avant comme une figure de proue, faisait un caprice bruyant pour qu’un de ses papas la pousse !

   Momo et Lu se consultèrent afin d’examiner la plausibilité de cette paternité encombrante… Désolés, ma jolie, aucun élément ne collait ! le moindre des obstacles étant qu’il leur était inconcevable d’avoir une progéniture aussi tarée.

   - C’est drôle deux minutes, Marie ! avait accordé Lu. Mais t’en as pas marre, à la fin ?

   -  Nan ! et ze veux une suçu ! s’entêta-t-elle.

   On courait au-devant de l’incident, c’était palpable, car autour d’eux il y avait une réprobation grandissante dans l’air. De l’autochtone ulcéré, fulminant ! Où qu’on aille, aujourd’hui c’était ça : partout l’invasion maghrébine ! Toute tentation de xénophobie écartée, il fallait bien se rendre à la réalité : une race querelleuse et braillarde, plus prolifique que les rats, qui empoisonnait l’existence ! Le comble, constatez par vous- même ! est qu’ils contaminent à présent la belle herbe montante de notre pré carré gaulois.

 

   - Oui, vous, messieurs ! Je peux vous demander d’arrêter ça ? Vous n’êtes pas dans un manège.

   Voilà ce qu’on avait gagné avec ses bêtises : l’intervention d’un immense black badgé, condescendant, que c’était pas autorisé, sur ma mère ! Est-ce que l’un d’eux s’était permis de demander au bamboula si on était dans un zoo ? Ce n’était pas l’envie, pourtant, qui manquait à Momo :

   - C’est parce qu’on est bronzés que vous nous parlez comme ça ? s’attacha-t-il à rétorquer calmement.

   La môme avait sauté de son chariot : quand on lui réclamait les choses avec courtoisie ! Elle était tout miel, tout sourire, tout écœurante de suavité. Ses couillons de biquets étaient si inutilement susceptibles, ce bêta de Momo surtout !

   - Si vous saviez, monsieur ! Ils arrêtent pas tous les deux de vouloir tout le temps que je leur fasse des choses dégoûtantes et il font rien que m’embêter.

   - Dites, mon brave, puisque j’ai l’avantage de vous avoir sous la main, l’orge perlé, on trouve ça dans quel rayon ? coupa Lu prudemment.

   C’était d’une civilité inattaquable. Marie-Claude était déjà passée devant, indiquant ostensiblement en cela qu’elle se désolidarisait de leurs bassesses.

   …

   - Par ici les chéris ! C’est génial, vous avez les honneurs de la presse.

   Elle leur déplia une gazette sous le nez pour leur permettre de découvrir l’encadré à la une :

   L’AVEN TRAGIQUE, en page 3.

   En page 3, leur photo sous un titre :

   DISPARITION EN MER.

   La photo était floue, Dieu merci ! Pros jusqu’au bout des ongles, les journaleux : à se planter, autant ne pas faire les choses à moitié !

  

   - Dire qu’il y a des ploucs pour qui c’est la détente de la semaine ! râlait Momo.

   Ils étaient dans la queue depuis pas loin de vingt minutes. Caisse 9. C’était pas mieux aux autres ! Une ouverte sur trois en moyenne. De quoi finir d’énerver Marie-Claude qui leur avait déjà fait paumer cinq places, au bas mot ! en essayant, contre toute sagesse, de s’imposer à la caisse rapide. Refoulés, qu’ils avaient été ! Bafoués ! Moins de 10 articles, c’était écrit, non ? Ils savaient pas lire comme tout le monde ? Et grâce à qui encore, je vous le demande ? Est-ce qu’on avait besoin de tous ces trucs inutiles qu’elle leur avait fait ajouter ?

   Pour ce qui est de lire, ils avaient le temps maintenant : des affiches du style UN CLIENT C’EST SACRÉ ! C’était de la provocation ou quoi ? Momo était au bout du bout de sa patience. Et parallèlement, la placidité étalée par presque toutes ces âmes ménagères l’intriguait. C’était possible ça ? Sa voisine de devant, par exemple. De dos la quarantaine, le cheveu propre, de gentils bourrelets autour du soutien-gorge. Il se pencha vers son oreille, histoire de tester :

   - Ça vous dirait qu’on fasse l’amour pour patienter ?

   Ah ben, il manquait pas d’air celui-là ! Elle s’était tournée pour découvrir le phénomène.

   Houmpf ! Oh, le strabisme dramatique ! On pouvait pas deviner des misères pareilles, se désola Momo qui ne savait à quel œil se fier.

   Elle le détaillait, ce nonobstant, avec une curiosité amusée :

   - Merci, j’ai mon chéri à la maison ! fit-elle en conclusion, dans un sourire tout empreint d’indulgence.

   Ouf ! Tant mieux, tant mieux !

 

   À la sortie des caisses une petite brasserie ouvrait largement sa façade à l’angle de la galerie marchande. Trois solides piliers de comptoir étaient déjà à l’apéro. Autour d’un guéridon,  deux tourtereaux négligeaient leur café pour se boire des yeux. Deux mères, décorées dans le genre manège à bijoux, investissaient deux tables avec trois chiards obèses qui s’empiffraient de crème glacée italienne. La télé allumée.

   - J’ai la pépie, mes agnelets ! claironna Marie-Claude. Salut, Étienne, deux pressions, un tango !

   - Salut, ma belle. On a sorti la garde rapprochée ?

   - C’est mon corps de ballet, lourdaud !

   - Eh ben, je vois que le balai manquera pas de manches, ma belle ! Le tango, argentin comme d’hab ?

   - Puis non, tiens ! une mauresque pour changer.

   - Et une danse du ventre, une !

   - Va pas égarer ton neurone dans les méandres de l’oued, mon bon Étienne ! Je jurerais pas que tu en aies un de secours.

   - Ah, c’est facile de faire de la peine !

   - On essaie de se mettre au diapason, pas vrai ? Tu nous sers ça à la table du fond ?

   -Y avait pas d’autre crémerie où se poser ? lui souffla Momo à l’oreille. Il est aussi spirituel qu’une enclume !

   - Spiritueux ! marmonna Lu, pour rester dans le ton.

   - Légèrement con sur les bords ! mais il a le cœur sur la main, plaida Marie en sa faveur comme si elle avait été commise d’office.

   - C’est pas tellement hygiénique ! grogna Momo

   - Quoi donc ?

   La môme s’était déjà assise, l’esprit ailleurs, les yeux rivés sur l’écran de télé.

 

   « En léger différé, c’était notre envoyé spécial depuis le lieu du drame. Nous passons maintenant à la page des sports… »

   La petite assemblée reluquait les vedettes de l’info régionale avec une insistance que Lu jugea instinctivement malséante. On avait été bons, ça il disait pas non ! De là à ce qu’on les regarde comme des bêtes curieuses : on ne les avait pas primés au comice agricole ! Momo pondérait sans passion le bilan de l’affaire : quarante-six secondes, montre en main, voilà ce que leur quart d’heure de célébrité partagée avait duré. Décevant ! Marie-Claude bichait, pas gênée pour un rond. Fière de ses biquets !

   - Je savais pas que tu faisais dans le people, à présent ! lança Étienne.

   - Il y a beaucoup de choses que tu sais pas, mon bon. Je te conseille de faire un saut au Shehrazade samedi soir, ça t’ouvrira des horizons !

   Pas plus découragé que ça par les remontrances faussement embarrassées de sa mère, un des morveux, encore barbouillé de glace, vint réclamer une photo déquicassée en essuyant consciencieusement ses doigts poisseux sur leur table.

   - Le stock est épuisé, mon chéri. Tu veux que les messieurs te signent quand même un autographe ? proposa princièrement Marie-Claude.

   - Ben ouais ! Un chaque chaque !

   Lu lui signa obligeamment le buvard de son demi : Fred Astaire. Momo, pour ne pas être en reste, le sien : Ginger Rogers. Il l’aurait volontiers enrichi d’une crotte de nez, mais il ne trouva pas ce qu’il fallait sous l’index. Bien, on avait assez donné comme ça !

   - Je dois combien, Étienne ?

   - C’est toi qui paies, ma belle ? Un maximum !

   - Tu as raison, ça te donnera l’occasion d’inaugurer mon ardoise. Je te la dédicace quand tu veux !

   - Un bon tiens vaut mieux que deux tu l’auras : c’est la tournée de la maison, ma belle !

    Le statut de vedette n’était pas dépourvu d’avantages, reconnut Lu, mais c’est pas ça qui allait avancer sa chorba ! 

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commentaires

F
Tiens ça remarche je viens d'avoir ta réponse à mon com... que demande le peuple ???????
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G
<br /> <br /> Sans être trop exigeant, du pain et des jeux peut-être ? <br /> <br /> <br /> Bisous Fanfan.<br /> <br /> <br /> <br />
F
OB m'énerve mais c'est pas lui qui m'empêche de dormir.. suis juste un oiseau de nuit... une connivence en quelque sorte. Bizz
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G
<br /> <br /> Chouette alors ! <br /> <br /> <br /> Bisous Fanfan.<br /> <br /> <br /> <br />
F
c'est pas facile d'être une vedette...
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G
<br /> <br /> Pour vivre heureux vivons cachés. <br /> <br /> <br /> ...J'espère que ce n'est pas OB qui te donne des insomnies.<br /> <br /> <br /> Bisous Fanfan.<br /> <br /> <br /> <br />
D
Quel équipage, c'est la Foire du Trône ;0)))<br /> Bises Géhèm .
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G
<br /> <br /> Ah, parle pas comme ça de mes copains, hein ! <br /> <br /> <br /> Bises Dany.<br /> <br /> <br /> <br />
N
moi aussi j'en veux un autographe! ;)))))
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G
<br /> <br /> Avec ou sans crotte de nez ? <br /> <br /> <br /> Biz<br /> <br /> <br /> <br />