Ne nous égarons pas dans les détails décoratifs : je suis un solitaire de bonne compagnie. Faut pas trop me courir sur le haricot, c'est tout !
C'est un post des amis Cafards,
qui m'a donné envie d'exhumer ce papier de février 2003.
HENRY SCHLEY, peintre et sculpteur.
STARS AND STRIPES.
Petit lexique à l'usage de nos lecteurs bantous qui auraient négligé l'apprentissage de la langue anglaise :
Star, 1 Etoile. 2 Vedette.
Stripe. 1 Raie, zébrure. 2 (stripes) galons.
Aux mêmes lecteurs, et à quelques autres pour qui les problèmes de la langue ne sont pas la principale difficulté :
Le Stars and Stripes symbolise le drapeau des USA : Henry est citoyen américain. Les stars, nous verrons qu'elles parsèment son itinéraire. Quant aux galons, malgré son passage dans l'US Navy, c'est mon désespoir : pas de galons. Je suis obligé de me rabattre sur les zébrures, ce qui n'est d'ailleurs pas plus mal car c'est d'un zèbre chatoyant qu'il s'agit là.
Quand on m'a rapporté pour la première fois ses années d'étude auprès de ZADKINE, les verres partagés avec Samuel BECKETT, son amitié avec GIACOMETTI, je me suis retenu de dire que moi aussi j'avais été pote comme cochon avec FRA ANGELICO dans les années 1400. Comment croire que ce grand jeune homme désinvolte va fêter ses 70 ans cette année ?
1933 : Henry Spaulding SCHLEY, le 3ème du nom, naît à New York dans une de ces grandes familles bourgeoises qui, deux ans plus tard, seront bouleversées par l'enlèvement du fils de Charles LINDBERGH. C'est à cet événement qu'il devra d'avoir alors à ses côtés un immense danois, acheté pour le protéger. Souvenir mitigé (il se rappelle les vigoureux coups de queue qui lui cinglaient la tête) mais déterminant : à huit ans et demi, il dessinera de mémoire cet envahissant compagnon disparu, avec tant de réalisme que son professeur de dessin croira à une copie avant de convenir de ses précoces qualités. Suivront une première exposition et les premières ventes interrompues par Mme Mère, indignée qu'on puisse monnayer le talent de son fils. Début et fin d'une amorce de carrière artistique prometteuse.
1950 : Le jeune H.S.S., qui considère son milieu sans enthousiasme excessif, rêve d'un cruiser qui l'emmènerait naviguer le long du littoral méditerranéen français. L'aimable marine US ne lui fait pas miroiter de moindres perspectives et le voilà engagé pour quatre ans... en partance pour le conflit de Corée, finissant son périple à bord d'une barge de débarquement. Ces jeux guerriers et les feux d'artifice qu'on lui propose s'avèrent peu conformes aux visions de la Côte qui l'avaient motivé, et modérément à son goût, il en profitera néanmoins pour s'imprégner des arts coréen et japonais et gardera de cet épisode héroïcomique un attrait définitif pour les vadrouilles.
1954-57 : Etudes de design au Long Beach State College (Californie) couronnées par une exposition de peinture et de sculpture à laquelle sont associés élèves et professeurs confondus. Et quoi ? En décrochant le premier prix à la barbe de ses professeurs, il conclut, avec la délicieuse distance qui le caractérise déjà, qu'il est grand temps de les remercier et de repenser à cette bonne vieille Europe, et à la France pour commencer.
1958 : C'est enfin le débarquement pacifique du "Queen Elisabeth 1". Henry s'installe à Paris, dans un hôtel de la rue de l'Université. L'hôtel, la rue, la ville sont une ruche, une perpétuelle invitation à la curiosité et aux rencontres. Il a le privilège d'accéder aux cours de sculpture très sélectifs d'Ossip ZADKINE avec lequel il partage une égale passion pour la mythologie hellénique : un enseignement incomparable qu'il suivra jusqu'en 1961. Dans la même période il étudiera la gravure auprès de Johnny FRIEDLANDER et la peinture avec Yves BRAYER. De ce dernier, qui tenait atelier à la "Grande Chaumière", il ne conserve pas un souvenir impérissable, ce qui me console de toutes ses oeuvres, alors en vogue, dont mon regard d'adolescent s'est trouvé fréquemment encombré dans des demeures provinciales. Mais l'art est aussi au rendez-vous des salles et des terrasses de café et de restaurant. Il s'y assied souvent autour d'un verre en compagnie de Samuel BECKETT, devisant de tout et de rien (une photo de l'auteur irlandais veille aujourd'hui sur son sommeil ? dans sa chambre de Tabias) ; il hante Le Select et La Coupole où il lui arrive de dîner avec Alberto GIACOMETTI ("Je ne faisais pas partie du cercle le plus étroit de ses intimes") ; il y côtoie avec une même gourmandise célébrités et anonymes, et c'est pour moi une jubilation que de l'entendre relater tout un fourmillement d'anecdotes avec le filtre de son humour. Un numéro entier ne suffirait pas à en rendre l'écho, c'est la raison pour laquelle je le laisse s'échapper jusqu'en Italie où, en 1963, il parachève ses études de sculpture à l'Académie des beaux-arts de Florence.
Avant d'abandonner définitivement le fil de la chronologie, retrouvons-le en 1964 à Londres où il réalise un groupe de sculptures monumentales dans le cadre de l'exposition organisée par Richard BUCKEL à l'occasion du 400ème anniversaire de la naissance de SHAKESPEARE. Et c'est encore à Londres, l'année suivante, qu'il rencontre une dernière fois GIACOMETTI dont c'est l'ultime rétrospective avant sa mort : ce jour-là, le musée étant fermé au public, c'est le maître lui-même qui le guide à travers l'exposition.
Bougeotte et péripéties de la vie, on pourrait le suivre en Belgique, en Espagne, en divers lieux de France et de Navarre, et en Californie où il fera plusieurs séjours dans les décennies écoulées (Sculptures et design pour Reva Fashion à Beverly Hills, atelier Gemini Gel à Los Angeles, cuisinier de stars hollywoodiennes...). Mais c'est dans sa charmante maison ardéchoise, devenue point d'ancrage depuis 36 ans, qu'on lit l'authenticité de son être. S'il devait la quitter, ce ne serait que pour retourner vivre à Hawaï. Avec une grâce de dilettante, Henry y regarde de loin le monde s'agiter. Il reprend ses pinceaux quand la charge émotionnelle l'impose et il retrouve alors cette peinture expressionniste abstraite, solide et dense, qui le rapproche de ses rêves d'enfant.
Principales expositions :
1958-63 :
Biennale de Paris, Musée d'Art Moderne / Salon de Mai, Musée d'Art Moderne / Salon des Jeunes Sculpteurs, Musée Rodin / Salon d'Automne, Grand Palais.
1962 :
Biennale de Venise, sérigraphies dans le Pavillon Américain.
Plus récemment :
Plusieurs expositions en Ardèche, en Pologne, à Aix-en-Provence...
Retrouvé ce 16 décembre 2024, en rangeant des archives, cet article de presse signé de Carole Dumas qui ranime quelques autres souvenirs...
Laissons la conclusion à Alain Souchon...