Ne nous égarons pas dans les détails décoratifs : je suis un solitaire de bonne compagnie. Faut pas trop me courir sur le haricot, c'est tout !

Publicité

YANKEL

Comment le dé-peindre en quelques regards croisés...

Publicité

Je n'ai fait que le citer dans mon précédent billet sur René Mirabel pour une exposition qu'ils partagèrent en 2012. Il méritait plus que le seul lien vers son article Wikipédia, assez sommaire.

C'est en 2004 que j'ai eu le plaisir de lui rendre visite pour choisir deux oeuvres à intégrer dans une exposition collective. Après-midi charmant, fourmillant d'échanges sur l'art (en particulier la place de son père, celle de Soutine...), à la suite duquel je m'étais contenté de peu de lignes en marge de l'exposition en question :

« Il faut le dire, avant Duchamp la peinture n’existait pas ! Bien sûr, on barbouillait depuis Cézanne, on salissait la toile, c’était encore la préhistoire, on balbutiait, on apprenait à marcher.

Enfin le Messie fit son apparition, montra du doigt le porte-bouteilles et la lumière fut. On sortait de la nuit ».

On ouvre Le Désespoir du Peintre*, Duchamp est là, dans l’épigraphe. On pousse la porte de La Coconnière**, les égouttoirs à bouteilles sont dans le jardin. Encore et partout, le Marcel ! à fleur de peau, comme un tricot de corps qui gratte. Un prurit assuré pour qui s’évertue à peindre en tirant la langue. Dire que j’en soupçonne d’utiliser pour médium la naphtaline ! L’art, c’est certain, est une guerre de religions qui, pour le gros de la cohorte, croupit dans une guerre de boutons. Pourtant, ce n’est qu’une évidence aveuglante qu’il nous révèle, le Messie : l’essence de l’art est dans l’illusion. Ça ne devrait heurter que les prestidigitateurs ratés. « L.H.O.O.Q. », « La même après rasage » : en deux chromos de la Joconde, l’une affligée de virilisme, portant moustache et barbichette, l’autre rendue à son état originel, la révolution était faite. C’est bien en remettant les choses en ordre qu’il a profondément changé notre regard sur l’art, après l’avoir piégé, Marcel Duchamp.

J’avais en tête de brosser un portrait de Yankel. Pas difficile de se sentir d’emblée avec lui comme larrons en foire, je crois qu’il n’aurait pas été trop malaisé de réussir une pochade assez vive : le modèle est bon, on a déjà fait la moitié en saisissant la malice de l’œil, l’esprit est rapide, sautillant, moqueur. Bref, il a toutes les qualités requises pour faire son autoportrait et c'est ce qu'il fait admirablement dans le Yankel*** des Editions de l’amateur qui accompagne ses deux « Golem » au Salon. Vous en jugerez par vous-mêmes. Qu'aurais-je bien pu ajouter ?

C’est ce que je ne savais pas avant de le lire : il a une plume épatante, Yankel !

J’ai délaissé un peu le plasticien, pour me laisser charmer par son sens aigu de l’observation, de la dérision, et par la si juste, si personnelle petite musique de son style. Je me suis régalé à la lecture de ses chroniques et je veux croire qu’il n’a pas changé depuis ce Salon Comparaisons de 74 au Grand Palais, dont il écrit : « C’est sympa, un salon, ça fait plaisir, on se promène, on voit des tas de pâtisseries, de peinturlures, de sculptures drolatiques, des tapisseries, de tout. Moi j’aime bien savoir qu’il y a des milliers de pauvres types comme moi qui font de la barbouille. C’est vrai, quoi, on se sent tout seul dans son atelier et ça requinque de faire partie d’une grande famille… comme si c’était tous des m’as-tu-vu, des illuminés, des égocentriques ! moi, d’abord, j’aime bien les peintres, mes frères, tous et toutes. » Et puis je retiendrai dans son glossaire, puisqu’il s’agit aussi de « contribuer au rayonnement du territoire », sa définition du Pont d’Arc : Arc de triomphe creusé dans la roche par la rivière Ardèche, commémorant la victoire du tourisme populaire.

 

* Le Désespoir du Peintre (Les Editions des Enfants de la balle, 1983). Chronique artistique illustrée des années 67 à 80 (qu'il a eu la gentillesse de m'offrir).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

** La Coconnière : sa résidence d'été de Labeaume.

*** Yankel (Les éditions de l'amateur, 1994) Textes de Gérard Xuriguera, Pierre Restany et Yankel.

 

 

 

 

> Une vidéo d'Isabelle Filleul de Brohy *1 :

Publicité

> Un article de Jean-Louis Aguilar, président de l'ARAT :

> Une vidéo d'Idriss DIABATE :

Publicité

Toujours l'oeil vif et l'esprit sautillant dans sa résidence d'été de Labeaume :

¤

Découvrir la donation faite par Yankel au Musée des Arts Naïfs et Populaires de Noyers-sur-Serein.

Pour accéder au très intéressant dossier de presse de 30 pages :

> Le musée... Informations... puis CLIC sur donation par l'artiste Jacques Yankel.

 

*1 : Voir, de la même réalisatrice, l'excellente vidéo consacrée à Max Wechsler

¤ Jacques Yankel est décédé le 3 avril 2020, lire :

Jacques Yankel, 1920-2020.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
J'aime aussi les salissures et barbouillages de toiles de l'époque d'avant Duchamp. Mais je suis une béotienne, oui, je sais...
Répondre
G
Mais non ! les béotiens ne connaissent même pas l'existence de ce blog. ;o)))<br /> ...Et il faut aimer les toiles du passé quand elles sont bonnes. Ce qui n'interdit ni l'humour ni le goût d'exercer son oeil à la nouveauté.
F
Un régal que cet homme qui de la Ruche à l'Ardèche nous ravit de sa verve et de son intelligence. J'adore l'écouter parler de la Ruche et de ce qu'elle signifie pour tous ces artistes venus d'ailleurs. Sa maison en Ardèche est passionnante pour l'oeil et quel plaisir de voir qu'il crée encore et encore. Merci à toi pour ce partage et comme il l'a si bien démontré il est impossible de vivre sans l'art. Bisous aux fraises des bois
Répondre
G
C'est un privilège d'avoir un témoin [ en si bel état de conservation ;o) ] qui a grandi au coeur de cette histoire mythique. Passionné par l'art et sans tiédeur, et j'espère qu'il le restera jusqu'au bout. On ne peut que se souhaiter la même grâce.<br /> Bisous chère Fanfan.
D
putain...quelle tête ce mec !
Répondre
D
que signifie "je suis plus Français que Juif" ?<br /> quand il dit "avant Duchamp y avait pas de peintres ",il plaisante ?
Répondre
G
Tu as oublié la question essentielle dès qu'on parle peinture : de quelle couleur était le cheval blanc d'Henri IV ? ;o)
J
Une insomnie. J'en ai largement profité. ^^<br /> Sacré bonhomme ! J'ai découvert sa "peinture" mais aussi celle de son père. Deux vraies pointures et un enthousiasme communicatif.
Répondre
G
Bonne nuit, alors ? ;o)<br /> "L'art exige un effort. Non seulement aux artistes mais également à ceux qui s'y intéressent. L'oeil doit s'y entraîner."<br /> C'est une des phrases dont il a accompagné sa présence dans la très belle collection de Jeanne Matossian où figurent 5 de ses oeuvres.<br /> Je te conseille de visiter le site de la fondation :<br /> http://www.jeanne-matossian.org/artist.php?id=128
N
les gens qui n'aiment pas l'art il leur manque quelque chose...je suis tellement d'accord<br /> biz
Répondre
G
Il faut voir le bon côté des choses : on en fait plus vite le tour. ;o)<br /> Bises
C
quelle vitalité et quel parcours! un jeune homme de 98 ans toujours plein de créativité
Répondre
G
Sur la première vidéo il n'avait que 92 ans, mais tu as certainement remarqué qu'il ne portait déjà plus de culottes courtes. ;o)<br /> Blague à part, sa fraîcheur d'esprit fait du bien. J'ai de plus en plus de mal à supporter les vieux de 17 à 77 ans qui pullulent.
P
Je n'ai pas tout été regarder mais j'aime assez l'esprit de sa définition du Pont d'Arc.<br /> Bonne soirée
Répondre
G
Privilège de l'âge ! J'aurais assez aimé la formuler avant lui. ;o)