Photo : Matthieu Dupont.*
Rencontre avec Jacques Yankel, l'autre peintre (presque) centenaire français
Comme Pierre Soulages à la fn du mois de décembre, Jacques Yankel fêtera ses cent ans au printemps prochain. Le peintre et sculpteur continue à travailler, dans sa maison d'Ardèche. On peut di...
J'aurais aimé en rester à ces informations de mi-décembre dernier et à cette vidéo dans laquelle il était encore plein de cet enthousiasme joyeux dont je ne l'ai jamais vu se départir. Une chute survenue à son domicile aura mis un terme à ce miracle de vie. Il est mort dans la nuit du 2 au 3 de ce mois à l'hôpital d'Aubenas, à quelques jours de ses cent ans, qu'il aurait eu le 14 prochain.
C'est un message d'Anne Lüscher** déposé sur ma page CONTACT qui m'en a appris la nouvelle avant-hier, en début de soirée, alors que ses obsèques avaient eu lieu la veille à Labeaume dans la plus stricte intimité familiale, compte tenu des mesures de confinement actuelles.
C'est, entre autres, à sa page Wikipédia que nous devrons de le retrouver un peu désormais. Dèjà fournie, elle ne demande qu'à être enrichie.
Un site de préparation de son catalogue raisonné est en ligne depuis 2017 et accueille à ce jour 1725 oeuvres. Pour toute entrée nouvelle, prière de s'adresser à sa fille :
Dinah Kikoïne
7, rue Fernand Couturier 91120 Palaiseau
dinahkikoine@free.fr
J'avais eu, en octobre 2018, le plaisir de publier ici même un billet dans lequel j'espère que certains rencontreront l'occasion de le retrouver, tel qu'ils l'ont connu, et d'autres celle de le découvrir au mieux de sa verve.
J'y avais évoqué sa donation de 1987 au musée de Noyers. Je suis heureux d'apprendre qu'il l'avait complétée presque au lendemain de ma publication.
Ecoutons-le encore une fois (j'ai sa voix au creux de l'oreille) :
DISCOURS NEGRO
Ma vie a été une improvisation perpétuelle comme la concession du même nom. Je m’étais bien habitué à cette existence où ma bonne étoile m’avait protégé jusque là. Tout, ou presque tout, me réussissait et, à toutes les époques j’ai eu de fidèles amis qui ne se seraient pas fait tuer pour moi, heureusement. J’ai échappé à maints dangers par miracle et c’est pourquoi j’y crois, j’y ai toujours cru. En tout cas, il est bien sûr qu’ils se manifestent pour certains artistes. D’abord à Toulouse durant l’occupation où toute la famille Kikoïne fut dénoncée à la milice de Pétain, et plus tard au moment de la libération, toujours dans la ville rose, où ces mêmes sbires souhaitaient ajouter un juif à leur tableau de chasse… avant de se dissoudre dans la nature. J’ai eu bien d’autres occasions d’abréger mes jours : sur la route d’abord, en Algérie dans ma 4 CV, lorsqu’un camion fou et ivre me barra la route à 100 km à l’heure, au bas d’un virage en épingle à cheveux ; au Sahara, ensuite où je me perdis corps et biens, à deux reprises. Chaque fois j’ai bien senti que mon tour n’était pas encore arrivé. Côté sentiment, tendresse, je n’ai rien à envier à quiconque, car j’ai eu mon content d’amour. Plus que je ne méritais, c’est bien sûr. J’ai usé et abusé de mon cœur. A un âge fort avancé, j’ai encore bénéficié de la faveur des dieux (d’Israël) qui m’ont envoyé une compagne …
Côté peinture, je me réjouis là également, car cet art d’enfant que j’avais pratiqué dès mes culottes courtes en allant sur le motif avec mon père, a comblé la part de curiosité poétique et créatrice si indispensable à l’Homo Sapiens. J’ai peint sans doute et sans m’en douter quelques beaux tableaux et beaucoup d’exécrables. Que les amateurs qui en possèdent me pardonnent, je n’avais que de bonnes intentions en les peinturlurant. C’est vrai aussi qu’ils ne se sont pas ruinés pour les acquérir. Je suis bien aise d’avoir préalablement dilapidé un peu de ce que j’avais amassé, car comme disait le grand Utrillo un jour de cuite : « … ce qu’on garde pourrit, ce qu’on donne fleurit… ». Il reste un peu partout des œuvres de toutes sortes et je suis persuadé (que dis-je convaincu) que mes héritiers se les partageront équitablement. En fin de parcours, je n’ai pas bien saisi si la vie avait une réelle signification, mais j’ai vécu comme si elle en avait. On passe son temps à se réjouir ou à s’attrister, à faire du bruit avec la bouche ou avec des pinceaux, et puis on arrive toujours au même endroit. Je ne regrette pas d’avoir privilégié les petits à-côtés de la vie, d’être demeuré un touche-à-tout, un amateur doué. Tout le monde ne peut être Soutine ou Bach, j’ai quand même le sentiment d’avoir inventé une chansonnette.
Jacques Yankel
Daniel Hoffman -Original Klezmer.
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ADDENDUM.
A bâtons rompus, autour de son rapport à l'Ardèche, à l'Afrique et à l'écriture...
Et aussi...
Enfin, pour refermer (provisoirement) l'album de famille...
¤ Sur la suggestion de JMA, la vie artistique à Labeaume (Yankel, mars 1997) :
¤ NB : CATALOGUE
Autour du "derrick de nuit" figurant au catalogue raisonné provisoire sous le n° 701, voir sa relation avec le catalogue Le pétrole vu par cent peintres (Musée Galliera - Paris, 6 au 21 octobre 1959) :
Jeanne Daour (7) & Jeanne Daour (8)
En date du 26/08/20, Dinah Kikoïne me confirme :
Le derrick : il s’agit bien entendu du N° 701 de la base de données. Dans ces années là, mon père a peint plusieurs toiles et lithographies, entre autre à la demande de la Cie Esso et du mari de sa soeur qui possédait une société de forage, la Forex. Les reproductions servaient aux cartes de voeux de ces sociétés, cadeaux de lithos aux actionnaires et autres clients. Pour la petite histoire une des invitations représente une station essence Esso. Mon père était d’autant plus intéressé qu’il avait été peu de temps avant, en tant que géologue en Afrique du nord pour faire des recherches sur de possibles gisements.
Dinah Kikoïne me rappelait en outre que les différentes "festivités" du centenaire Yankel ont bien sûr été reportées pour cause de virus mais que les expositions organisées par le Département de l'Ardèche sont toujours prévues en septembre et octobre.
J'ai aimé la vidéo conçue par le Département pour cette occasion.