Ne nous égarons pas dans les détails décoratifs : je suis un solitaire de bonne compagnie. Faut pas trop me courir sur le haricot, c'est tout !

Un jour de trop !

L'année où les grenouilles veulent changer de roi, c'est tout ce que ce 29 février m'inspire...

D'ailleurs, si cela te dit de savoir ce que je pense en général des années bissextiles, c'est ici.

Un jour à servir du réchauffé, n'en demande donc pas davantage !

Un article d'octobre 2003, dans lequel quelques-uns de mes lecteurs reconnaîtront un ami disparu. 

 

Mon ami Jean-Pierre Llorca affectionnait l’œuvre d’André Lhote. 

Andre-Lhote.jpg

Nu - André Lhote (1885-1962)

 

J’aimais le taquiner sur ses prédilections un brin classiques en matière d’art et sur sa religion inconditionnelle du Bénézit, dans lequel il puisait avec un imperturbable sérieux les éléments qui, à ses yeux, lui octroyaient l’autorité d’étalonner à peu près tous les goûts et les couleurs. 

Rien n’était plus jubilatoire que de le voir dispenser ses oracles aux possesseurs d’antiques barbouillages et aux chineurs, nombreux à solliciter son avis après le joli coup qu’il avait réussi, en amateur, chez un antiquaire ardéchois : l’acquisition, au prix d’une croûte vétuste, d’une petite toile (scène de la guerre franco-allemande de 1870) où il fallait bien de la perspicacité pour pressentir la patte du Douanier Rousseau. Travail qui, d’un strict point de vue pictural, ne revêtait qu’un assez modeste intérêt, sa découverte s’était parée, au terme de longues expertises d’authentification, d’une vraie grâce historique et d’une plus que coquette valeur marchande. 

L’ami Jean-Pierre avait l’immodestie exubérante, le verbe bruyant, une lucidité souvent féroce qui voisinait d’une manière surprenante avec des crédulités enfantines. Je n’avais pas su résister à la malice d’épingler une de ses lubies récurrentes dans une pochade qu’il avait encadrée et accrochée au-dessus du fauteuil au fond duquel il avait l’habitude d’arrêter ses verdicts, et qu’il lui arrivait de déclamer devant des visiteurs interloqués :

 

Derrière mon haut front d’airain

Je roule des pensées de rien,

Songes de femmes cannibales,

Rêves de fesses dignes d’annales,

Je roule des pensées de nain.

 

Derrière mon haut front d’airain

J’ai le vertige des fonds marins,

J’imagine des fleurs anales

En curant mes fosses nasales

Et que je serai beau demain.

 

Mon délire n’est pas qu’un grain

De folie ou un tour de main,

Il me suffit, à moi Llorca,

De prétendre être Garcia Lorca,

Je le deviens.

 

LA PREUVE !

Ce qu’il ponctuait, avec l’emphase de circonstance, en pointant son index vers cette conclusion pétrie d’évidence !

 

Ma mémoire lui doit quelques associations peu conventionnelles. Ainsi, André Lhote et le crépi de semoule de blé. Ce n’était déjà pas raisonnable de s’attabler avec Jean-Pierre devant un couscous, mais courir le risque de l’amener à s’étrangler quand il avait la bouche pleine ! Je n’aurais plus l’inconscience, aujourd’hui, de soutenir la supériorité de la lotte à l’américaine sur le plus estimable des Lhote à l’huile…

La maladie, après l’avoir prématurément écarté de ses activités à la Chambre de Commerce dont il avait été le secrétaire général, avait fini par l’isoler de presque tous. Nous avons été très proches pendant ses dernières années : il avait une élégance de caractère émouvante qui me faisait avoir une indulgence amusée pour ses extravagances et ses férocités que d’autres ne supportaient plus. Son jardin secret avait des noirceurs qu’il tentait d’oublier en s’étourdissant de lui-même et, dans l’esprit de Beaumarchais, il cherchait à rire de tout, « de peur d’être obligé d’en pleurer ». Nous ne nous sommes jamais ménagés, et nous avons beaucoup ri ensemble.

 

Jean-Pierre Llorca est décédé le 29 février 1990. La mort, qui n’en est pas à une absurdité près, lui a offert au bout de ses tourments le jour supplémentaire d’une année bissextile.

Je n’ai jamais eu le goût des panégyriques et, puisqu’il s’agit là de le faire revivre un instant, je crains que sa mémoire ne doive s’accommoder de mon irrévérence.

Le phénix, dit-on, renaît de ses cendres. Ce n’est ici, hélas, que l’art du pote au feu.

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L
Merci pour ce bel hommage. Je l'entends encore déclamer ces vers...<br /> Patrick
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G
Bonsoir Patrick,<br /> Quelle bonne surprise ! Comment vas-tu ?<br /> ...Il y a déjà bien longtemps mais l'écho est toujours aussi vivant, avec tant d'autres souvenirs.
L
Je remercie la personne qui a écrit ce magnifique texte. J'ai perdu mon père a un âge ou j'aurais tant aimé avoir suffisamment d'esprit pour pouvoir partager avec lui.....
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G
<br /> <br /> Merci à toi, et sorry !<br /> <br /> <br /> J'ai passablement négligé la lecture des coms, ces temps-ci, et je ne découvre le tien qu'aujourd'hui.<br /> <br /> <br /> La suite à ton adresse perso...<br /> <br /> <br /> <br />
C
c'est ce qu'on appelle un humour d'enfer!
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G
<br /> <br /> Je ne saurais pas trop te dire ; tout ce que je sais, c'est qu'au paradis... ils ont les blagues Carambar.<br /> <br /> <br /> <br />
J
je ne suis pas pressé mais si je veux avoir mon éloge funèbre je peux compter sur toi?
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G
<br /> <br /> Pas de problème ! suffit que tu me communiques le jour de ton enterrement, disons une quinzaine avant...<br /> <br /> <br /> Faudrait pas que j'aie déjà un mariage, ce jour-là !<br /> <br /> <br /> <br />
D
Un Dali ascendant Raimu ou vice versa ?
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G
<br /> <br /> Plutôt un Raimu mâtiné de commedia dell'arte...<br /> <br /> <br /> <br />
D
Quel talent, j'en suis toute intimidée de laisser un commentaire !Un sacré personnage ton pote, il doit bien se marrer de ton hommage !<br /> Bises du 29 Février Géhèm
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G
<br /> <br /> C'était, de fait, un personnage qui sortait du convenu ! J'aurais pas mal de moments d'anthologie à écrire...<br /> <br /> <br /> Mais imagine-toi que c'est ton "pote âgé" qui m'a fait penser à ressortir ce billet.<br /> <br /> <br /> Alors, pour le coup, c'est à toi qu'il doit de se marrer, si tant est...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bises Dany.<br /> <br /> <br /> <br />
N
geheeeeeeeeem !!
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G
<br /> <br /> On dirait une poule qui a trouvé un couteau ! <br /> <br /> <br /> <br />
T
Quelle plume ! Bel hommage.
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G
<br /> <br /> Plume de phénix véritable !<br /> <br /> <br /> C'est que c'est pas de la bête d'élevage, c't oiseau-là !<br /> <br /> <br /> Et je te garantis que la plumaison est sportive...<br /> <br /> <br /> <br />