31 décembre 2015 4 31 /12 /décembre /2015 05:00

Un crobard vieux comme mes robes :

 

Beaucoup plus récent (juin 2001, t'as qu'à voir !), ce petit texte à usage d'éditorial rédigé hâtivement sur un coin de table :

Absence d'autoroutes et de chemins de fer oblige, on sait ne pas pouvoir compter en nos campagnes reculées sur la catastrophe ferroviaire locale ou le carambolage autoroutier de proximité pour promouvoir la Une de nos périodiques associatifs. Et nous jalouserions les facilités dont use la presse française presque tout entière quand nous examinons les conséquences désastreuses d'un simple transport au cerveau ?

Que non ! Contentons-nous de mettre à profit ce que persiste à nous offrir notre modeste génie rural : l'accident éditorial.

Vous êtes, par exemple, lecteur de Les Temps d'Arts et vous vous dites à juste titre : "L'ennui naquit un jour de l'uniformité... A chaque numéro son éditorialiste, ce sera l'assurance de la diversité". Vous auriez pu citer vos sources ("L'ennui etc..." est de l'illustrissime Lamotte-Houdar) mais je m'accorde avec vous pour trouver l'idée excellente.

Eh bien, nous ne sommes nullement les premiers à l'avoir eue. Un de nos membres éminents, à la vitalité chenue, dont nous tairons le nom pour les raisons qui vous apparaîtront plus loin, nous a tous précédés en ce domaine aussi. Je vois encore son enthousiasme l'étreindre et l'emporter dans un tourbillon de projets ; il se propose d'en être le modèle, j'en suis ravi et envisage pour moi-même des vacances.

(Il me faut ici préciser que, lassé de porter égoïstement ma luxuriante plume au cul comme un paon, je l'ai mise pendant quelques années au service d'une joyeuse bande de copains aux multiples talents. C'était bien charitable de la part de l'un d'eux de vouloir m'en décharger occasionnellement.)

Plusieurs semaines ont passé. Nous sommes à l'avant-veille d'imprimer nos feuilles : toujours pas d'édito en vue. Mes coups de fil résonnent dans le vide, je me déplace. La porte cède, comme d'habitude, sous mon amicale poussée. Et là, je vous l'avoue, force m'est de craindre le pire : au beau milieu de la maison, deux chaussures abandonnées, mortes depuis au moins trois jours, à en juger par leur odeur.

Inquiétude vite oubliée. Heureusement, sur mes talons déboule le cher disparu, plus vivant que jamais, encore ruisselant de la douche qu'il vient de prendre, et qui s'enquiert avec sollicitude du bon vent qui m'amène. Je m'en voudrais de perturber aussi insouciante humeur. "Pure visite de courtoisie", lui dis-je. Il est aux anges et me fait part, sans plus attendre, d'innombrables nouveaux desseins.

Qu'aurait été l'éditorial idéal ? La question n'est sans doute pas capitale. On vérifie par contre, avec cet avatar, qu'à défaut de grands axes il nous reste toujours... les chemins de traverse. Mais quel rapport avec l'art ? J'invite quelques esprits un peu rigides à y penser.

L'oiseau dont il s'agit ? Marion.

J'ai retrouvé une rubrique signée par lui, sous le titre : LE COURRIER DU COEUR.

Cher Géhèm,

Pour un court instant pose tes pinceaux, tes plumes (de plumitif, bien sûr!) et aussi tes pinces de "récup'art" et laisse-toi doucement rouler dans la farine, toi la Gazette des Rois !

Nous avons tous nos bazookas chargés de yogourt braqués sur les contestataires : quelqu'un oserait-il discuter tes arts multiples ?

Dieu Shiva de notre association AZ'arts, tu en es l'immanence, toi et tes dix bras d'honneur. Mais rendons d'abord hommage (et pas maigre, et pourtant très bon pour la ligne) à ton bique (je veux dire "bic", voyons !). Comment un cerveau authentiquement ardéchois arrive-t-il à aligner autant de caractères ? Nous n'avons que deux ou trois véritables sources ardéchoises dans notre paysage artistique : désaltérons-nous à ces eaux pures.

Quel bon sens, quelle vue à double foyer (et cependant fidèle, bien sûr), quelle perspicacité, quelle "popoésie" ! Ton esprit léger comme un pet d'ange nous stupéfie par son agilité. Nous chevauchons Larousse pour te suivre, nous feuilletons Littré, nous pelotons les Robert ! Mais cela n'est rien, comparé au sens de l'organisation que tu partages avec ton frère ennemi Jacques-Roger et Ingrid, notre mère à tous, vous qui êtes les fondations et l'architecture de l'édifice "az'arteux".

Monsieur le Compte est bien bon de nous gérer (gé-ré majeur, bien entendu), ce qu'aucun (et coquin !) de nous n'est capable de faire, artistes rêveurs... Accepte donc mon aubade haut de gamme : gé-ré, jet d'eau, gémis, Jeffa (ville prise par Bonaparte), G=sol (notation anglaise), Gela (ville de la Sicile ancienne), Gessi (peintre italien né à Bologne).

Mais abordons ton art si personnel et ces compositions énigmatiques qui excitent notre curiosité : comme un gamin farfouilleur, tu erres dans les greniers, les placards, les vieux offices de manoirs, les prieurés de Templiers ou les laboratoires de rosicruciens, en quête de l'objet rare auquel tu associes les chefs-d'oeuvre des Kinder surprises. La démarche ne manque ni de contraste ni de piment et le clin d'oeil nous frappe dès l'abord, avant le parti esthétique (car le goût est toujours présent) dont on découvre que sans en avoir l'air il est au coeur de la provocation et qu'il détermine notre regard.

Sous tes airs d'aquaboniste, tu es, petit père, un passionné qu'il est difficile d'épingler car tant de choses t'intriguent et t'appellent qu'elles rendent ta trajectoire ondoyante et assurent ta sauvegarde, comme le vol sinusoïdal des lépidoptères les sauve du bec des oiseaux.

Si je t'écris c'est que j'ai trouvé trop injuste que tu sois toujours de corvée pour remplir nos pages, et surtout pas pour t'empêcher de le faire à ton gré car ce bulletin est le côté palpable et chouette d'une équipe d'hommes et de femmes qui s'aiment.

Marion

Je m'étais autorisé une courte réponse :

Délicieuse petite Marion,

Tu as la fraîcheur du merle moqueur. Et cette spontanéité des sentiments ! j'en rosis d'émotion. Pourvu qu'en grandissant rien de cette innocence ne se fane.

P.S. : Suis-je distrait ! Comment ai-je pu ignorer ton en-tête : ce lion souverain... et MARION SCULPTEUR ? Tant pis, ce qui est écrit est écrit. Un moment de paresse, une douceur de plus...

Retrouvé aussi de lui un dessin préparatoire pour une invitation à partager la présentation de ses oeuvres dans le cadre de l'Hôpital Sainte-Anne :

Pour en finir avec 2015.

Marion est mort bien tristement cette année, dans l'indifférence que favorise en grande part le mois d'août(*). Il aimait, fut un temps, plaisanter sur son aptitude à me tailler le plus beau des monuments funéraires, le moment venu. J'ai sans doute évité le pire.

 

(*) Le 13-08, jour de son anniversaire, à 81 ans.

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commentaires

C
je te crotte :-)))
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G
Quel dommage qu'un si grand homme soit si mal élevé (je ne fais que citer Talleyrand, Majesté !) :o))
C
puis-je me permettre? l'exactitude est-elle aussi la politesse du roi des cons? ;-)
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G
Certainement, Sire. :o))
J
Ses pierres garderont éternellement, le souvenirs fracassant de ses longs silences ! <br /> MARION. Homme convivial au grand cœur, amoureux de la musique et des Arts Mais surtout des femmes qu'il sublima par ses sculptures dont voici quelques exemples....https://picasaweb.google.com/marionsculpteur07.<br /> Il nous a quitté le jour de son anniversaire sans souffrir !
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G
L'exactitude est la politesse des rois.<br /> R.I.P.
R
Bonjour Géhèm !<br /> <br /> Ils ne paraissent pas très frais tes anges :<br /> surement un réveillon chargé à l’époque !<br /> <br /> Quant à Marion, il était forcément mieux<br /> que la Maréchal nous voila !<br /> <br /> Et pis c’est tout !<br /> <br /> Bonne journée et encore bonne année 2016 !<br /> <br /> Rotpier<br /> <br /> http://rotpier.over-blog.com
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G
Je dois dire que, de cette période, plus personne n'est exactement frais.<br /> Toi-même, je m'inquiète !... Connaître "Maréchal, nous voilà" ! :o))
D
moi déjà je kife ton dessin...bien fait pour leur miches ,les anges<br /> Pour le reste,y a toute un vécu que je ne connais pas
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G
Du dessin, malheureusement je ne vois que les défauts.<br /> Pour le reste, le moteur de mon intérêt est principalement dans ce que je ne connais pas ; ce qui me laisse une bonne marge de curiosité. ;o)
F
Je ne savais pas que ton talentueux ami Marion n'était plus. Je l'ai découvert chez toi. Sans le connaître je me sens triste. Suis sûre que tu lui racontes le pire et le meilleur pour qu'il se marre et conteste de plus belle..<br /> Je viens de te lire dans ma tanière.. merci pour l'info j'ai remis une autre version du Requiem de Campra. C'est chouette les amoureux de la zique.<br /> Je ne réveillonne plus depuis longtemps sauf avec mon chat, mais il n'est plus là lui non plus.. alors ce sera réflexion et méditation sans tristesse et Musique à donf.<br /> Que de bonnes choses pour toi et ceux que tu aimes. Bisous aux fraises des bois
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G
Tu veux me faire passer pour un illuminé, Fanfan ! :o))<br /> Lui raconter quoi que ce soit ? Il est sourd comme une urne. ;o)<br /> Sa tête l'avait tristement abandonné depuis de longs mois et nos liens s'étaient distendus ces dernières années pour diverses raisons, mais je garde de lui les meilleurs souvenirs : ceux d'un homme haut en couleur, effervescent et généreux, et de nos innombrables rigolades.<br /> J'espère que tu auras passé une soirée paisible ; moi-même je me suis couché fort tôt, ce qui me permet de te souhaiter de bonne heure la réalisation de ce qui te tient le plus à coeur pour toi et les tiens.<br /> Je viens d'écouter une partie de la nouvelle version du Requiem de Campra que tu as insérée dans ton blog : c'est une interprétation que je connais déjà et que j'aime beaucoup.<br /> Amitiés et bises.
D
Je ne l'ai pas connu, alors pourquoi, là, suis-je d'un coup complice avec Marion? <br /> Ce cœur à deux VOI, là, chante si clair....
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G
Complice ? En ces temps troublés, c'est un mot qu'il vaut mieux éviter ! :o))<br /> Tu es une femme qui aime profondément les gens, c'est aussi ce que j'aime en toi. ;o)