Ne nous égarons pas dans les détails décoratifs : je suis un solitaire de bonne compagnie. Faut pas trop me courir sur le haricot, c'est tout !
...Ou l'émotion du temps retrouvé.

A gauche, Varian Fry - A droite, reconstitution 3D de Air-Bel par Alain Guyot et ses étudiants de l'ENSA Marseille.
Qui se souvient de Varian Fry, le "Schindler américain" qui débarqua à Marseille en 1940 avec 3000 dollars en poche et une liste de 200 personnalités à exfiltrer en un mois, et en fut expulsé treize mois plus tard par les autorités de Vichy après avoir sauvé plus de 2000 personnes ?
...Je n'en savais, pour ainsi dire, à peu près rien avant qu'Anne Lüscher* (qui m'avait précédemment alerté sur la mort de Jacques Yankel) me découvre des pans entiers de cette histoire en m'ouvrant à des souvenirs et des sources qui, pour certaines, lui furent intimement proches.
C'est une des bonnes surprises que m'aura offertes le confinement.
UN FILM DOCUMENTAIRE :
Un livre :
VILLA AIR-BEL 1940-1942 Un phalanstère d'artistes
Alain Guyot et Diana Pollin
Editions de la Villette

Rien ne prédisposait Varian Fry à l’héroïsme. Fils de famille bourgeoise, il grandit dans cette Amérique des banlieues riches du New Jersey, avant d'intégrer l'université de Harvard. Diplômé en 1931, il pratique à la fois le journalisme et le professorat de lettres classiques. Envoyé à Berlin en 1935 pour un reportage sur le nazisme, il y découvre les persécutions contre les juifs et prend conscience de la menace totalitariste qui allait mettre l'Europe à feu et à sang. Son destin est scellé. Mais que faire ? Écrire, militer, protester, manifester, aider des réfugiés austro-allemands fraîchement arrivés à New-York, cela parvient un temps à apaiser sa bonne conscience. En 1940, avec le soutien d'Eleanor Roosevelt et du Musée d'Art Moderne de New-York, il prend part à la fondation d'un Centre Américain de Secours (The Emergency Rescue Committee) dont la mission serait de faire sortir de France artistes, savants, philosophes et écrivains de renommée regroupés à Marseille, capitale de la Zone Libre de "l'Etat français". Regroupés ? Oui, mais surtout piégés ! La Zone Libre fut un vaste camp d’internement dans l’attente de l’inévitable invasion nazie. Très vite, le comité veut envoyer un homme de confiance connaissant bien l'Europe et parlant couramment le français à Marseille. Fry se porte candidat.
Le temps était compté.
Fry arrive à Marseille le 14 août 1940 pour une mission de 3 semaines et l'objectif de sauver 200 personnes parmi lesquelles : Victor Serge, romancier, essayiste et trotskiste, André Breton, les peintres Oscar Dominguez, Wifredo Lam, Max Ernst, Hans Bellmer, Marcel Duchamp, Victor Brauner, Jacques Herold, Jacques Lipschitz, André Masson, les écrivains Heinrich et Golo Mann, Franz Werfel, Lion Feuchtwanger, Benjamin Péret, les philosophes Hannah Arendt, Anna Seghers et Claude Lévi-Strauss, le prix Nobel de médecine Otto Meyerhof et la claveciniste Wanda Landowska.
Trois semaines ? Quand il y a ceux qui ne veulent pas partir, dont Marc Chagall (Fry se déplace pour le convaincre, mais en vain. Chagall se voit avant tout artiste, la police le voit avant tout juif et l'arrête. Fry le fait sortir de prison et l'expédie illico en Amérique avec femme et enfant).
Fry restera 13 mois et aura sauvé plus de 2000 personnes avant d'être expulsé en septembre 1941.
La mission de Fry est aussi le récit d’une rencontre avec la Villa Air-Bel, vestige d’une France humaniste et éclairée par les idéaux républicains, qu'il loue en marge de la ville. La France qui l'a enchanté lors de ses voyages de jeunesse, il la retrouve dans ses garnitures et équipements, dans son jardin à la française, et sur son belvédère surplombant la vallée de l’Huveaune. Il installe ses artistes/candidats à l’exil dans cette villa deve-nue Château Espère Visa et réinvente un pays où il n’était pas interdit de penser, de parler et de créer librement… comme avant ! C’est toute la brève aventure que relate cet ouvrage à deux voix.
Regrettant la démolition de la Villa Air-Bel en 1982, ses auteurs, Alain Guyot et Diana Pollin, s’emploient tant par le récit historique et biographique que par le dessin à la faire revi-vre, y compris en nous livrant les coulisses du travail de reconstitution numérique des lieux mené avec les étudiants en architecture de l'ENSA Marseille.
Alain Guyot, architecte, enseignant à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Marseille, chercheur.
Diana Pollin, Américaine d'origine, professeure d'université, auteure, traductrice.
Un site remarquablement documenté, initié par Alain Guyot (dont nous entendrons la voix dans le commentaire du film qui va suivre), ressuscite la villa Air-Bel au-delà même de la reconstitution 3D dont nous pouvons suivre chacune des étapes.
Le film de la visite virtuelle
La promenade virtuelle nous emmène en 1940 sur les pas du Comité américain de secours qui découvre pour la 1ere fois le domaine de Castellane et le parc de la Villa Air-Bel. (Format HD disponib...
Pour l'ensemble des éléments relatifs à la reconstitution virtuelle, en particulier, voir le menu de Restitution 1940
* Anne Lüscher (son site de peinture)...
Architecte DPLG en 1976, c'est au retour de plusieurs années en Afrique qu'elle passe un post-diplôme en architecture bioclimatique et se lie d'amitié avec Alain Guyot qui était alors son professeur principal.
Une de ses compositions qui m'évoque Marseille :
Le vagabond (CLIC sur le titre)
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Proposée par JMA, le 16.06 :
André Breton/Villa Air-Bel, une vidéo d'Alain Paire.
CLIQUER sur REGARDER SUR VIMEO.
Quelques suggestions de lecture en complément du sujet :
Le Diable en France, de Lion Feuchtwanger, 360 p. - Le Livre de Poche, 7,90€
Seul récit autobiographique d'un des plus grands écrivains allemands de son époque, Le Diable en France retrace l’internement de Lion Feuchtwanger au camp des Milles, près d'Aix-en-Provence. Exilé dès l'arrivée des nazis au pouvoir, Lion Feuchtwanger vit pendant six ans « heureux comme Dieu en France », pour reprendre le dicton germanique. Mais l'enfer commence pour lui avec la débâcle française de 1940, quand il est incarcéré avec d'autres artistes juifs allemands ou autrichiens en exil. Petits et grands malheurs de ces intellectuels arrachés à leur univers, mais aussi cruelle désillusion de cet admirateur de la patrie des droits de l'homme vis-à-vis de la France qui l'a trahi : ce récit est une mise en garde bouleversante contre ce « diable de la négligence, de l'inadvertance, du manque de générosité, du conformisme, de l'esprit de routine »...
Transit, de Anna Seghers, 376 p. - Le Livre de Poche.
"Si ce roman est devenu le plus beau de ce que Anna Seghers a écrit, c'est certainement à cause de la situation historique et politique, atrocement unique, qu'elle a choisie comme modèle-référent. Je doute que notre littérature, après 1933, puisse montrer beaucoup de romans qui soient écrits comme celui-ci, sans défaut, avec l'assurance du somnambule." Heinrich Böll. Marseille 1940. Anciens combattants de la guerre d'Espagne, déserteurs, juifs, écrivains, artistes et opposants allemands au nazisme, certains réfugiés en France dès 1933 comme Anna Seghers, tout ce que la Wehrmacht pourchasse se trouve, pour ainsi dire, acculé le dos à la Méditerranée, en attente d'un hypothétique embarquement vers la liberté. Si Marseille est encore située en zone libre, personne parmi les fugitifs ne doute de l'imminence d'une occupation totale de la France. Dans le dédale de Transit, on assiste à une chorégraphie de la comédie humaine qui n'en finirait pas de s'être déréglée. (in Babelio)
Max et Leonora, de Julotte Roche, 184 p. - Le Temps Qu'il Fait.
Que le peintre surréaliste Max Ernst et Leonora Carrington aient vécu dans mon village, qu’ils aient choisi, en 1939, le calme de Saint-Martin d’Ardèche aurait pu suffire à mon bonheur. Mais leur image était trop belle.
Assis sur les pierres chaudes, Max regardait intensément la rivière. À ses côtés se tenait, «magnifique et nue », la belle Leonora. Il lui disait combien il était heureux. Elle chantonnait paradise.
Quand ils se sont relevés, je n’ai plus rien compris. Max avait des menottes aux poings et Leonora courait en cheveux dans les rues du village.
Leonora, que s’est-il passé en mai de 1940 dans ce petit village français ?
Longtemps après, je me suis glissée à leur place, j’ai fermé les yeux et écouté leur absence. J’ai tout entendu des pierres, elles m’ont laissé transcrire cette histoire, elles m’ont choisie. C’est normal, moi aussi je suis minérale. — (J. R.)